jeudi, novembre 10, 2005

"Mais, c'est une révolte ?"

"Non Sire, c'est une révolution !".
Cette réponse célèbre de Liancourt à Louis XVI, au soir du 14 juillet 1789 nous revient à l'esprit à l'occasion des violences urbaines.

De grandes similitudes en effet, car INÉGALITÉS et PRIVILÈGES sont les maîtres mots, aujourd’hui comme en 1789. C’est le fameux « modèle social français », dont on vante si fort les mérites, qui est mis en cause aujourd’hui.

Les beaux esprits, et en particulier le premier d’entre eux, y voient une faillite de notre politique de l’intégration. Quelle belle clairvoyance ! C’est comme si votre maison prend feu et que vous en déduisez avec génie que vous avez un problème d’incendie.

Plus géniaux encore, dans les ors des Palais Nationaux, ces mêmes beaux esprits claironnent leur appel solennel à la Responsabilité Républicaine et à l'unité de la Nation, comme si « les sans-culottes 2005 » allaient s’en émouvoir.

Et bien entendu les mêmes ne trouvent rien d’autre, comme d’habitude, pour régler le problème que de distribuer de l’argent, (« Tax-generating statist measures », c'est leur réflexe congénital !) : La Haute autorité de lutte contre les discriminations, le plan Borloo de rénovation urbaine, la création de préfets délégués à l'égalité des chances, la grande Agence de la cohésion sociale et de l'égalité des chances…et une quantité d’autres zakouski… Quel bel effort d’imagination et de lucidité !

« Mais donnez leur des brioches !» disaient Marie-Antoinette, aussi lucide et réaliste qu’eux !

Cette pseudo-générosité dans un tel contexte d’inégalités n’engendre que la haine, le mépris et la dépendance insupportable…et aggrave le problème.

Ce sont les inégalités et privilèges que les forces politiques (Etat socialiste et droitiste ainsi que syndicats), notamment depuis la fin des 30 glorieuses -depuis Giscard disons-le bien clairement-, ont laissé se développer, qu’il faut blâmer et combattre.

Ces forces obéissant à des intérêts étroitement corporatifs, ceux des salariés (avec leurs retraités) du secteur public et parapublics ainsi que d’une grande partie du secteur privé (les grandes entreprises notamment complices inévitables du système), ont mis progressivement en place des structures destinées à protéger ces salariés des risques et des changements, et à maintenir leurs privilèges bien souvent exorbitants. (Lire à ce sujet « France in crisis » de Timothy B. Smith, mentionné colonne de droite, notamment le chapitre « Persisting inequalities, page 127 » *)

Il en est résulté, (essentiellement pour les autres), un chômage structurel massif, une raréfaction du travail, lourdement taxé, maintenu uniformément au dessus d’un seuil tarifaire élevé et soumis à une réglementation étroite.
C’est le produit de choix politiques délibérés. Que l’on ne nous parle pas de chocs pétroliers, de mondialisation ou d'autres fatalités !

Ce faisant ces forces étouffent la croissance, mais ce n’est pas suffisamment grave, à leurs yeux et ceux de ces privilégiés, pour qu’elles trouvent le besoin et le courage de réformes.

Mais cela produit un véritable infarctus du corps social dans le sens où certaines de ses parties ne sont plus vascularisées et c’est ce que nous vivons aujourd’hui. ("[The french] increasingly infarcted economic system", Joel Kotkin). Cet infarctus frappe les parties les plus vulnérables.

Le chômage structurel massif est fatalement payé extrêmement cher par les communautés marginales, une caractéristique inévitable de la loi de l’offre et de la demande sur le marché du travail. Car quand il y a rareté (chômage) et cherté (smig + charges sociales), le niveau des exigences en matière de qualification des employeurs s’élèvent immanquablement… et ce n’est pas du racisme !

Devinez qui en souffre le plus ! (Observatoire des Discriminations Université Paris I)

Et quand à ceci s’ajoute la rigidité des lois sur le travail avec la réglementation étatique stricte des licenciements, il faut avoir un goût extrême du risque pour qu’un employeur recrute dans ces mêmes communautés marginales alors qu’il a surabondance de choix dans des populations qu’il connaît mieux.

Le résultat est un taux d’inoccupation (chômage + RMI) supérieur dans la plupart de ces banlieues a plus de 50% de la population potentiellement active.

On s’étonne que ça n’ait pas pété plus tôt !

Bien sûr il y a beaucoup d’autres choses à dire sur cette crise. En particulier les problèmes identitaires de ces communautés face à un nationalisme romantique à la française**, ("Les Valeurs Républicaines de la France une et indivisible ne laissent aucune place au Particularisme !"), avec sa laïcité fanatique et bien souvent une xénophobie vicieuse.

L’intégration des immigrants pose problème dans tous les pays mais là où il faut bosser pour gagner son pain, là ou il y a du travail dans la liberté d’entreprendre, ces problèmes sont la plupart du temps régionalement limités, gérables et s’estompent avec les générations. Chez nous ils affectent le pays tout entier, s’aggravent avec le temps et mettent en cause la structure même de la société. Il est probable que c’est cette dernière qui ait besoin d’être réformée en profondeur.

Notes tirées de "France in crisis" :
* “As unemployment rose to unprecedented levels, and as the labor force participation rate fell rapidly, the comfortably employed in France became even more comfortable, better paid, and better vacationed”.
** “The universal Republican model fails to acknowledge the reality of mixed or divided loyalties and identities

P.S. :
Autre lecture utile sur ces sujets : L'Amérique des ethnies de Thomas Sowell